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Schopenhauer

11 août 2008

On me demande souvent pourquoi Schopenhauer, pourquoi ce philosophe et sur ce sujet en guise de mémoire de philosophie ? On me le demande régulièrement en entretien d’embauche.

L’exercice est d’autant plus difficile pour moi qu’il ne faut guère dépasser les cinq minutes sur le sujet, vu que c’est quand même pas pour disserter sur Schopenhauer qu’on me fait venir. Pourquoi Schopenhauer ? Il y a au moins deux bonnes raisons, la troisième est plus discutable mais je vous la donnerai quand même.

La première relève de l’ordre du coup de foudre intellectuel : je me souviens d’être encore au collège quand une voisine, en terminale, me confie qu’on leur demande de bosser un texte de philo auquel elle ne comprend rien. Je lui demande à voir, plus par désœuvrement que par curiosité, et là ce que je lis me paraît non seulement absolument limpide mais je me dis qu’enfin quelqu’un d’autre a eu les mêmes idées que moi. Je vous rassure tout de suite ce n’étais pas un texte sur la métaphysique mais sur la sociabilité et la nécessité, le célèbre texte sur les porcs-épics.

La seconde bonne raison : la lecture des textes de Schopenhauer, à défaut de rendre heureux, fait ressortir le côté profondément humain de ce philosophe, chose qui n’est pas aussi évidente avec ses « congénères ». En effet, la lecture de ses œuvres fait ressortir des préoccupations, et des questionnements qui sont proches des nôtres, à travers le vécu et le quotidien d’une vie. C’est aussi vrai des autres philosophes sur le fond, mais la particularité de Schopenhauer est qu’à travers l’expression de sa pensée on retrouve aussi l’expression des affres quotidiennes de l’individu, d’Arthur. On a affaire à un philosophe misogyne, misanthrope, capable de la mauvaise foi la plus crasse, rancunier, angoissé, illuminé, présomptueux, pétri de certitudes parfois et profondément dans le doute à d’autres moments. Bref un être humain, avec tout un tas de défauts, pas un être apparemment lisse et sans aspérités. Je vous concède que les autres philosophes étaient aussi des êtres humains, avec des défauts, mais ceux-ci ne transpirent pas à travers leurs systèmes philosophiques.

La troisième raison c’est que c’est justement parce qu’il n’est pas un auteur des plus emblématiques sur les passions et pas un des plus ardents défenseurs de la passion amoureuse, que ce sujet prenait tout son sens. Éros, Philia et Agapé pour les non jargonnants c’est la passion amoureuse, Éros, la passion amicale, Philia, et la passion sacrificielle, Agapé, le tout sur fond de philosophie schopenhauérienne, qui est à la fois baignée par la civilisation occidentale, grecque surtout, et la civilisation orientale, indienne principalement.

Bien sûr il y a la question que personne n’ose me poser, enfin ceux qui ont compris de quoi traite mon mémoire (passion érotique et civilisation orientale…)!

Traiter de l’esthétique de Schopenhauer eut été tellement classique, alors qu’à l’époque j’étais la seule à aborder ces trois notions dans sa philosophie. J’aime traiter des sujets qui sortent un peu des sentiers battus.

Enfin pour conclure et revenir à nos moutons (nos passions) mon prof de philo de prépa faisait dire, avec beaucoup de tendresse, à l’un de ses personnages : « Marcel croyez-moi celui qui a été à la pêche et qui n’a rien pris et qui avait lu Schopenhauer est doublement bredouille ». Oui lire Schopenhauer ne rend pas heureux, mais il est passionnant, connaissez-vous beaucoup de philosophes qui aient pèle-mêle :

– en début de carrière et inconnu, placé ses cours à la même heure et dans la même faculté qu’Hegel (alors littéralement idolâtré)

– légué leur fortune à leurs caniches

– écrit sur les fantômes

– traitées les théories darwiniennes de « philosophie de garçon coiffeur »

– prôné la non reproduction pour l’extinction de l’espèce et la fin des souffrances humaines

– posées les bases de l’inconscient avant Freud

eh bien maintenant vous en connaissez un!

4 commentaires leave one →
  1. Sophie permalink
    12 août 2008 7:10

    Mais c’est que tu donnerais envie de lire les oeuvres complètes de Schopenhauer !

  2. Bibenfolie permalink
    19 août 2008 8:05

    Mais j’espère bien, il ne jargonne pas et il a un humour très pince sans rire en prime, que du plaisir!

  3. eric lamy permalink
    6 février 2009 10:53

    Bonjour,
    J’aime bien vos réflexions sur Schopenhauer. On peut quand même citer Nietzsche dans les philosophes précurseurs de l’inconscient et habitué à des saillies très subjectives.
    Pour l’érotisme, j’ai fait mon mémoire de maîtrise en 1988 sur « l’instinct sexuel chez Schopenhauer » avec des parallèles entre lui, Evola (Sur la sexualité orientale) et Bataille.
    Le sujet de la sexualité chez Schopenhauer n’est pas simplement original mais il est au centre de son oeuvre.
    Si vous ne connaissez pas le roman de Yalom « la méthode Schopenhauer », je vous le conseille. C’est très intéressant car l’auteur, un psychothérapeute, confronte le philosophie et la psychanalyse. Un régal.

    • bibenfolie permalink*
      9 février 2009 5:05

      Merci! Votre mémoire doit être bigrement intéressant (enfin pour les fans de Schopenhauer ne nous leurrons pas trop ;-)) et croiser Schopenhauer et Bataille voilà une perspective pour le moins originale!
      J’avoue ne pas connaître le roman de Yalom mais je vais en faire la lecture rapidement merci pour cette piste de réflexion….qui promet bien des délices!

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